Un courriel de reproches et de rappel à l’ordre à un salarié peut-il constituer une sanction disciplinaire ?

La maitrise de la jurisprudence est une science relative.

En 2010, la cour de cassation avait considéré qu’un courrier électronique reprochant des faits à un salarié pouvait valoir avertissement et que les faits ne pouvaient être à nouveau sanctionnés (Cassation Sociale, 26 mai 2010, n° 08-42 893, Médiance). Pour la cour de cassation, selon l’article L. 1331-1 du code du travail, « constitue une sanction toute mesure autre que les observations verbales prises par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération; ».

La cour de cassation en tirait comme conséquence que des observations écrites à l’encontre d’un salarié relatives à son comportement constituaient donc une sanction disciplinaire, peu importe le support sur lequel ces observations étaient faites. Dès lors, les faits objet des observations ne pouvaient donc servir de support à une procédure de licenciement puisque le salarié avait déjà été sanctionné pour ceux-ci et ne pouvaient donc faire l’objet d’une nouvelle procédure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.

La cour de cassation était claire : « Mais attendu qu’après avoir relevé que, dans son message électronique du 26 juillet 2004, l’employeur adressait divers reproches à la salariée et l’invitait de façon impérative à un changement radical, avec mise au point antérieure au mois d’août, la cour d’appel a justement décidé que cette lettre sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier le licenciement. ».

Récemment, la cour de cassation vient de rendre une décision à contre-pied, revenant sur son appréciation de la portée de telles observations (Cassation Sociale, 19 septembre 2018, n° 17-20193, Business et decision university).

Il s’agissait d’une personne qui exerçait les fonctions de directeur commercial. Après avoir été mis à pied et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement par courrier du 9 mars 2010, il était licencié pour faute grave le 31 mars 2010.

Le salarié conteste son licenciement et la cour d’appel lui donne raison. En effet, l’arrêt de la cour d’appel précise « Attendu que pour juger le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner en conséquence la société au paiement de diverses sommes, l’arrêt retient, s’agissant du grief tiré du non-respect de l’éthique de la société, que la remarque adressée au salarié par la direction en la forme d’un rappel à l’ordre et traduit la volonté de l’employeur d’exercer, de façon comminatoire, ses pouvoirs d’instruction et de direction, que la société avait ainsi épuisé son pouvoir de sanction par l’émission de ce rappel à l’ordre. ».

La Cour de cassation va casser cet arrêt, avec la motivation suivante : « Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la volonté de l’employeur de sanctionner les faits et alors qu’un rappel à l’ordre ne constitue pas une sanction disciplinaire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. ».

Pour la cour de cassation, la volonté de l’employeur de sanctionner les faits à l’occasion du rappel à l’ordre doit être caractérisée. Ainsi, malgré l’ambiguïté qui peut parfois exister entre le rappel à l’ordre et la sanction, il sera nécessaire de préciser si, à l’occasion du rappel à l’ordre, l’employeur entend considérer que cela vaut avertissement, et par conséquent sanction disciplinaire ou si au contraire, il se réserve de tirer les conséquences disciplinaires du comportement du salarié, et ce indépendamment du rappel à l’ordre qui est indépendant du pouvoir de sanction.

Il convient donc d’agir avec subtilité dans ce domaine.